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mercredi 30 janvier 2019

358: 'Leurs enfants après eux' de Nicolas Mathieu

Genre : chronique sociale assez noire


Histoire
Quatre étés séparés de 2 ans, 1992, 1994, 1996, 1998.
Quatre tranches de vie de jeunes de Heilange, petite ville de l'Est de la France: Hacine, Anthony, Stéph et d'autres.
Des adolescents qui tentent de se construire dans un monde en crise dans cette ère post-industrielle provoquée par la mondialisation.
Chaleur écrasante, désœuvrement pesant, désirs sexuels, alcool et joints...



Impressions
Le dernier Goncourt.
Avis mitigé qui dominait au début de la lecture. Une écriture et un style pas emballant. Le récit d'une chronique sociale inspirée de Hayange, victime de l'agonie du monde ouvrier. Une région où «[...] on était licencié, divorcé, cocu ou cancéreux. On était normal en somme, et tout ce qui existait en dehors passait pour relativement inadmissible. », comme écrit dans le roman. Certes pas une comédie.

Et puis les pages et donc les années s'écoulant, le roman prend de la consistance -tout en restant noir-, tant du au niveau des personnages que des sujets abordés

Le récit dépeint sans concession l'injustice sociale, une société où chacun doit accepter sa condition et ne pas espérer s'échapper de son milieu d'origine. Seul espoir: partir. Mais que ce soit pour le Maroc ou l'armée, c'est l'échec.
C'est une peinture assez dure de l'éducation française où l’ascenseur social est en panne. 

'L'école faisait office de gare de triage. Certains en sortaient tôt, qu'on destinait à des tâches manuelles, sous-payées, ou peu gratifiantes. Il arrivait certes que l'un d'entre eux finisse plombier millionnaire ou garagiste plein aux as, mais dans l'ensemble, ces sorties de route anticipées ne menaient pas très loin. D'autres allaient jusqu'au bac, 80 % d'une classe d'âge apparemment, et puis se retrouvaient en philo, socio, psycho, éco-gestion. Après un brutal coup de tamis au premier semestre, ils pouvaient espérer de piètres diplômes, qui les promettaient à d'interminables recherches d'emploi, à un concours administratif passé de guerre lasse, à des sorts divers et frustrants, comme prof de ZEP ou chargé de com dans l'administration territoriale. Ils iraient alors grossir cette acrimonieuse catégorie des citoyens suréduqués et sous-employés, qui comprenait tout et ne pouvait rien. Ils seraient déçus, en colère, progressivement émoussés dans leurs ambitions, puis se trouveraient des dérivatifs, comme la constitution d'une cave à vin ou la conversion à une religion orientale.'

Seule Steph, la jeune fille qui est d'un milieu plus aisé mais pas très cultivé, va pouvoir s'échapper. Et encore, elle doit réaliser qu'elle doit sortir de sa torpeur et cravacher à l'école, pas seulement pour recevoir la voiture promise par son père si elle a une mention au bac, mais aussi pour ne pas aboutir dans une impasse professionnelle sans avenir.

'Et Steph découvrait que le destin n’existait pas. Il fallait en réalité composer son futur, comme un jeu de construction, une brique après l’autre, et faire les bons choix, car on pouvait très bien se fourvoyer dans une filière qui demandait des efforts considérables et n’aboutissait à rien.


Et le tableau du destin classique des adultes n'est pas plus lumineux...

Dans leur vie, les enfants, les bonshommes n'auraient été qu'un épisode. Premières de leur sorte, elles s'offraient une escapade hors des servitudes millénaires. Et ces amazones en pantacourt, modestes, rieuses, avec leurs coquetteries restreintes, leurs cheveux teints, leur cul qu'elles trouvaient trop gros et leur désir de profiter, parce que la vie, au fond, était trop courte, ces filles de prolo, ces gamines grandies en écoutant les yéyés et qui avaient massivement accédé à l'emploi salarié, s'en payaient une bonne tranche après une vie de mouron et de bouts de chandelle. Toutes ou presque avaient connu des grossesses multiples, des époux licenciés, dépressifs, des violents, des machos, des chômeurs, des humiliés compulsifs. À table, au bistrot, au lit, avec leurs têtes d'enterrement, leurs grosses mains, leurs cœurs broyés, ces hommes avaient emmerdé le monde des années durant. Inconsolables depuis que leurs fameuses usines avaient fermé, que les hauts-fourneaux s'étaient tus. Même les gentils, les pères attentionnés, les bons gars, les silencieux, les soumis. Tous ces mecs, ou à peu près, étaient partis par le fond. Les fils aussi, en règle générale, avaient mal tourné, à faire n'importe quoi, et causé bien du souci, avant de trouver une raison de se ranger, une fille bien souvent. Tout ce temps, les femmes avaient tenu, endurantes et malmenées. Et les choses, finalement, avaient repris un cours admissible, après le grand creux de la crise. Encore que la crise, ce n'était plus un moment. C'était une position dans l'ordre des choses. Un destin. Le leur. '

Ce roman aborde aussi sans fioriture le thème de l'amour, des premiers émois avec la découverte sexuelle ...

' Et comme elle était assise en tailleur tout près, son genou finit par effeurer celui d'Anthony. C'est drôlement doux, une fille, on ne s'y fait jamais complètement. Celle-là s'appelait Stéphanie Chaussoy. Anthony vivait l'été de ses quatorze ans. Il faut bien que tout commence.' 

... à l'usure des couples par le temps.

À un moment, Steph lui avait demandé s'il aimait toujours sa mère.
– Plus tellement.
II avait dit ça sans amertume et Steph l'avait adoré d'en finir pour quelques secondes avec les faux-semblants. Elle s'était sentie considérée. En revanche, elle s'était bien gardée de lui demander pourquoi ils restaient ensemble, ou ce genre de questions débiles. Être adulte, c'était précisément savoir qu'il existait d'autres forces que le grand amour et toutes ces foutaises qui remplissaient les magazines, aller bien, vivre ses passions, réussir comme des malades. Il y avait aussi le temps, la mort, la guerre inlassable que vous faisait la vie. Le couple, c'était ce canot de sauvetage sur le rebord de l'abîme. '

Un roman hyperréaliste sur la société française d'une petite ville touchée par la crise industrielle. Assez sombre avec quelques touches de couleur. Un roman poignant et poignard.



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  • 'Charlotte' de David Foenkinos
  • 'Crime et châtiment' de Dostoievski
  • 'Kite runner' de Khaled Hosseini
  • 'La joueuse de go" de Shan Sa
  • 'Le quatrième mur' 'Profession du père' de Sorj Chalandon
  • 'Les enfants de Minuit' de Salman Rushdie
  • 'Sombre dimanche' & "L'art de perdre" d'Alice Zeniter
  • 'Sous le soleil des Scorta' et 'Eldorado' de Laurent Gaudé
  • "1984" de George Orwell
  • "Au Zénith" de Dong Thuong Huong
  • "Candide" de Voltaire
  • "En attendant Godot" de Samuel Beckett
  • "Fanrenheit 451" de Bradbury
  • "L'écume des jours" de Boris Vian
  • "L'insoutenable légéreté de l'être", de Milan Kundera
  • "L'œuvre au noir" de Marguerite Yourcenar
  • "L'ombre du vent" de Carlos Ruis Zafon
  • "La métamorphose" de Kafka
  • "La vie devant soi" de Romain Gary
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  • "Le parfum" de Patrick Suskind
  • "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde
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