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Liste par auteurs & titres dans Kronik list

vendredi 29 janvier 2021

436: ' La petite Chartreuse' de Pierre Péju

Genre : poignant

Histoire

Vollard tient une vieille librairie en centre ville, le 'Verbe Être".
Eva une petite fille de 10 ans est élevée par sa mère transparente, Thérèse.
Les routes de trois solitaires se croisent brutalement...

"Et il pensa qu'en plus de la sueur et du vomi, il puait aussi l'angoisse, cette odeur étrange de cadavre et de jus de rance qui, à la fin, imprègne tout."


Impressions

Premier roman de cet auteur qui a enseigné la philosophie au lycée Champollion, puis pendant quatorze ans au lycée international Stendhal, à Grenoble. Les parents de Pierre Péju étaient libraires à Lyon.

'Vollard n’avait jamais conçu la littérature comme un apaisement, ni la lecture comme une consolation. Au contraire. Lire follement, comme il avait toujours lu, consistait plutôt à découvrir la blessure d’un autre. Blessure d’un type seul, désarroi d’une femme seule. Lire consistait à descendre en cette blessure, à la parcourir. Derrière les phrases, même les plus belles, les mieux maîtrisées, toujours entendre des cris.'

La Petite et la Grande Chartreuse

Quelle écriture !

    Economie des mots, écriture sans fioritures, sens de la formule, style véloce et précis. Les phrases claquent.
Poésie de la nature, rudesse de la montagne, solitude de Vollard à l'image de celle des moines Chartreux, 

Après avoir fermé la dernière page, résonnent le texte et cette histoire dramatique.


Sombrissime et lumineux à la fois. Un roman humain très profond.

Prix du Livre Inter 2003,
Adapté au cinéma par Jean-Pierre Denis.

vendredi 22 janvier 2021

435: ' A la ligne' de Joseph Ponthus

Genre :  autobiographie d'un ouvrier cuiseur de bulots et égoutteur de tofu

Histoire

    Joseph Ponthus raconte son expérience d'ouvrier intérimaire qui a bossé dans les usines de l'agro-alimentaire, conserveries de poissons et abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. 


Impressions

Un roman témoignage très fort, tant sur le thème de l'usine et des sans dent, l'écriture et la culture élevée de l'auteur, 

Le monde ouvrier de notre siècle, pas mieux que Zola.
Ces vies minuscules,  de ces hommes et ces femmes qui se lèvent très tôt, pour lesquels travailler n’est pas un choix mais une nécessité : celle de toucher un chèque à la fin du mois.

Un poème en vers libres, sans ponctuation.
Sur les bulots, les crevettes, les carcasses de viande, qu'on transporte, pousse, coupe, débite, nettoie, par kilos, par tonnes....
Une vision sans concession du monde des ouvriers,  sont des pensées jetées sur le papier, un  Parce qu’après tout, l’usine c’est pas le bagne quand on a l’essentiel.

Ce qui fait tenir de tenir, c’est la littérature : Trenet ou Apollinaire, les chansons populaires, de Barbara et de tant d’autres, les citations ou les livres lus.
Et les autres ouvriers, la solidarité qui souvent leur ramène l'humanité que les cadences infernales, en tonnes et l’être humain n’est qu’une paire de bras, une force de travail que l’usine s’offre.

"J'ai la dimanchite
Ce putain de blues du dimanche soir avant la reprise du turbin"

"Un lundi qui commence comme une merde
Un lundi qui commence comme un semaine
Un lundi de merde qui commence la semaine"

"A l'abattoir
Aux mauvais jours
On disparait sous la production d'animaux morts
Un amas d'os d'abats
La chair
Du sang"

"C'est qu'ils nous font bien rire des fois à l'usine
[...]
Et
Surtout
Celle qui nous a fait rire un bon mois
[...]
Une opératrice de production piéceuse aux abats
rouges disant " Moins je porte mieux je me porte"
Je me souviens que le matin où l'affiche avait été mise
On se marrait
On se marrait
On se marrait
[...]
" Moins je porte mieux je me porte"
Bah oui tiens
C'est une bonne idée ça
Qu'on aimerait t'y voir mec de la com'
Passer une journée avec nous
Et si tu pouvais aussi nous filer des tuyaux pour porter pousser tracter tirer moins
Qu'on est plus preneurs que de tes affiches à la con"

"Les chefs
Comme à tous les audits
On ne les voit jamais autant
Et surtout jamais autant vraiment bosser
Que ces jours-là"

"Tout va bien
J'ai du travail
Je travaille dur
mais ce n'est rien
Nous sommes debout
Ton fils qui t'aime"

'Je dois à l'usine le fait de ne plus éprouver de crises d'angoisse
Plutôt non
[...]
Je ne dois rien à l'usine pas plus qu'à l'analyse
Je le dois à l'amour
Je le dois à ma force
Je le dois à la vie"


"La vie est une tartine de merde dont on mange une bouchée tous les jours
Philosophait ma grand-mère les jours d'un peu moins bien
C'est faux
La merde est une tartine de bulots à décharger par palettes quand une pièce d'un tapis roulant est en panne sur une ligne de production"


"Egoutteur de tofu
Celui qui n'a jamais égoutté de tofu pendant neuf heures de nuit ne pourra jamais comprendre
Et merde
Moi vieux con je sais et pas toi
Il n'y a aucune gloire à en tirer
Pas de mépris pour les non-ouvriers"

"J'échafaude des contrepets qui me semblent bien sonner
Egoutteur de tofu
Et fauteur de dégoûts"


Gros coup de cœur ! Texte émouvant, sincère, souvent drôle, un hommage aux ouvriers qui font tourner la machine.

Joseph Ponthus, ancien étudiant d’hypokhâgne, a ensuite travaillé une dizaine d’années comme travailleur social. Par amour, il a suivi sa femme en Bretagne. Le travail dans sa branche ne courant pas les rues, il embauche comme intérimaire à l’usine.

mercredi 20 janvier 2021

434: 'Bonjour tristesse' de Françoise Sagan

Genre : légèreté dramatique d'un été

Histoire
Cécile, 17 ans, vit avec son père, Raymond, veuf, adepte des passions légères. Ils  partent en vacances estivales sur la côte d'azur, accompagnés d'Elsa, la jeune maîtresse de Raymond.


Impressions
Comme qualifié par son auteure, mince roman. Mais quelle écriture et quelle lucidité pour une jeune auteure de 18 ans !

Quand elle parle de son père...
"Je n'ai jamais aimé personne comme lui et de tous les sentiments qui m'animaient à cette époque, ceux que j'éprouvais pour lui étaient les plus stables, les plus profonds, ceux auxquels je tenais le plus. [...] Ce n'était ni un homme vain ni un homme égoïste. Mais il était léger, d'une légèreté sans remède."


Quand elle évoque l'amour dans un couple
"Vous vous faites de l'amour une idée un peu simpliste. Ce n'est pas une suite de sensations indépendantes les unes des autres..."
Je pensais que toutes mes amours avaient été ainsi. Une émotion subite devant un visage, un geste, sous un baiser... Des instants épanouis, sans cohérence, c'était tout le souvenir que j'en avais."C'est autre chose, disait Anne. Il y a la tendresse constante, la douceur, le manque... Des choses que vous ne pouvez pas comprendre."

Lorsqu'elle savoure son plan pour manipuler son entourage, machiavélique
"N'avais-je pas mis sur pied en cinq minutes un plan logique, méprisable bien sûr, mais logique. [...] Pour la première fois, j'avais connu ce plaisir extraordinaire: percer n être, le découvrir, l'amener au jour et, là, le toucher."

Un scandale à l'époque de sa sortie.

Mince roman troublant.

jeudi 14 janvier 2021

433: 'Sommeil' de Haruki Murakami

 Genre : littérature russe, cognac et chocolat

Histoire
Une jeune maman au foyer ne parvient plus à trouver le sommeil.
 'Enfin, il se passait quelque chose, je me sentais vivre. Je ne m'usais pas. En tout cas, il existait une partie de moi qui ne se consumait pas. Et c'est pour ça que je me sentais réellement vivre. Je trouve qu'une existence humaine, même si elle dure très longtemps, n'a aucun sens si l'on n'a pas le sentiment de vivre.'


Impressions
Courte nouvelle lue dans une version papier glacé et illustrée en noir et blanc par Kat Menschik.
Une histoire sans phénomène ou monstre extraordinaire, mais comme dans tous les romans de Murkami, un monde parallèle s'établit où imaginaire et réel se mélangent;
Surprenant, surtout la fin !

Pour un moment nocturne d'insomnie

lundi 11 janvier 2021

433: 'Corniche Kennedy' de Maylis de Kerangal

Genre : vertige du vide et de la jeunesse


Histoire
Eddy, Mario et leur bande de copains - copines transpirent sous les rayons brûlants du soleil marseillais, somnolent allongés sur la (ou plutôt sur leur) plateforme rocailleuse de la corniche Kennedy. Ils bavardent, fument, se bécotent, improvisent des barbecues, mais surtout plongent et sautent depuis des tremplins naturels. S'étagent la Plate, le Just do It à 7 mètres et l'effrayant Face-to-Face à 12 mètres...
Suzanne, une jeune fille solitaire, regarde et photographie depuis sa maison bourgeoise cette troupe joyeuse.
Sylvestre Opéra, un commissaire ventru et désabusé, les observe avec envie à travers ses jumelles.
Mais cette liberté n'est pas du goût de tous...

"Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre 13 et 17 ans et c’est un seul et même âge, celui de la conquête."





Impressions
Vitalité de la jeunesse, des jeunes défavorisés, qui savourent l'eau, le soleil. L'écrivain nous les peint sans concession et ils sont beaux, attachants. 
Face à monde d'adulte "polissé" et policé qui interdit ces sauts dangereux et impose une partie de gendarmes contre voleurs pour mettre fin à ces Jeux Interdits. L'étendard de la 'tolérance zéro' brandi par le maire de Marseille face à des jeunes qui se construisent et vont braver cette répression.


Ecriture cinématographique, on imagine les plans panoramiques sur la corniche, les gros plans sur ces ados sous la lumière du Sud, des scènes sombres où le flic boiteux noie sa tristesse dans l'alcool.
Phrases rythmées, musicale, précises, qui peinent à être ponctuées par un point.
Un jeu sur la langue, néologismes de la jeunesse côtoient parfois des mots recherchés (Parfois trop. Savez-vous ce qu'est un bolduc ? Un nez camus ?). Une plume qui caractérise l'auteure et que certain(e)s adorent et d'autres fuient.

"Sylvestre (...) claudique à toute allure, regagne son bureau, va tendre la main vers une alcôve où il saisit une autre bouteille de vodka qu’il renverse tête en bas dans sa bouche ouverte, bientôt débordante comme une fontaine. S’agenouille pour continuer puis prend soin de s’allonger à même le sol. C’est une soif formidable. Elle ameute tout son corps, ameute sa hanche bancale, son sang malade et son ventre cave, ameute ses colères et ses chagrins, c’est un forum, une manifestation, et Sylvestre n’y résiste plus, ne résiste à rien, reçoit la vague dans sa bouche avide, la reçoit comme un bienfait, ça dégouline le long de son menton et ça fuit dans son cou, il garde les yeux clos et glougloute jusqu’à ce qu’il se sente immunisé par l’alcool, purifié par la biture."

Seule déception: cette histoire policière, avec des proxénètes qui trafiquent de la drogue et les jeunes femmes russes. Le passé douloureux des enquêtes de Sylvestre dans le milieu de la pègre brouille le récit, d'autant plus qu'il n'a pas de liens directs avec la bande de jeunes (ce qui n'est d'ailleurs pas le cas dans l'adaptation au cinéma, et cela m'a dérangé).

Beauté des corps, de la jeunesse. Beauté du front de mer de Marseille. Un récit court qui réchauffe.


samedi 2 janvier 2021

432: "La saison de l'ombre' de Léonora Miano

Genre : des prémisses de la traite négrière par les 'Pieds de poule'

Histoire
Dix fils aînés et deux adultes ont disparu pendant un incendie qui a ravagé le village du clan Mulongo. Personne ne connaît l'origine de ce feu ni de ces disparitions ?
Les mères des fils volatilisés sont isolées dans une case, peur de voir leur désespoir contaminer la communauté...




Impressions
L'univers de Mulongo se limite à la brousse et quelques échanges commerciaux avec leurs voisins, les Bwele, un peuple plus puissant, plus nombreux.
Le jour noir de l'incendie et des disparitions va casser profondément les codes et la 'pureté' du clan pacifique Mulongo. Il les oblige à changer leur regard sur l'univers au delà du territoire des Bwele, à envisager des terres s'étendant jusqu'aux Isedu, le peuple côtier voire plus loin. 
Ces événements vont aussi à l'encontre de leurs valeurs humaines, violent les rites de l'Afrique ancestrale. Le mal est là, apporté par ces énigmatiques Pieds de poule, eux-mêmes assistés par des Africains prompts à trahir leurs rites et valeurs.

"Eyabe se couvre la bouche des deux mains pour ne pas crier, ne pas hurler que le monde est devenu fou, que des forces obscures sont à l'oeuvre, que même un nouveau-né reconnaîtrait sans mal le visage de la sorcellerie, que l’on ne peut avoir besoin d'autant de vies humaines, si ce n'est pour les sacrifier à des puissances maléfiques."

Et finalement au delà d'un récit aux couleurs, odeurs, croyances très africaines, c'est un conte bouleversant qui met en avant les valeurs humaines de résistance à la violence, un hymne à la richesse de la mixité des cultures comme illustrée par le village des marais Bebayedi.
Ce clan saura montrer qu' "on ne peut dépouiller les êtres de ce qu'ils ont reçu, appris, vécu", résistant jusqu'au risque de disparaître...
"La nuit tombe d'un coup, comme un fruit trop mûr. Elle s'écrase sur le marais, la rivière, les cases sur pilotis. La nuit a une texture : celle de la pulpe du kasimangolo, dont on ne peut savourer toute la douceur sucrée qu'en suçant prudemment les piquants du noyau. La nuit est faite pour le repos, mais elle n'est pas si tranquille. Il faut rester sur ses gardes. La nuit a une odeur : elle sent la peau de ceux qui sont ensemble par la force des choses. Ceux qui ne se seraient jamais rencontrés, s'il n'avait pas fallu s'enfuir, courir sans savoir où pour rester en vie, trouver une vie. La nuit sent les souvenirs que le jour éloigne parce que l'on s'occupe l'esprit à assembler les parties d'une case sur pilotis, à chasser, à piler, à écailler, à soigner le nouveau venu, à caresser la joue de l'enfant qui ne parle pas, à lui chercher un nom pour le maintenir dans la famille des hommes. La nuit charrie les réminiscences du dernier jour de la vie d'avant, dans le monde d'antan, sur la terre natale."

La magie opère aussi avec grâce. J'ai par exemple beaucoup apprécié l'étrange enfant appelé  Bana,  qui guidera Ebeye dans sa quête
"Il a répondu : Bana, la femme a ri parce que ce mot, n langue lulongo, signifie les enfants. Elle a pensé qu'il confondait ce terme avec Muna, qui veut dire l'enfant.
[...]
L'enfant n'a rien pris depuis... L'homme l'interrompt : Mère, celui-ci est une multitude. Tu le sais bien"
Mystère !!  ;)

Une très belle écriture, un roman de mémoire bouleversant, un mysticisme poétique qui emporte. Bravo !!

Prix Femina 2013

Biographie de Léonora Miano
Léonora Miano est née en 1973 à Douala, au Cameroun, où elle passe son enfance et son adolescence, avant de s'installer en France, en 1991. Elle est l'auteur de six romans, dont L'intérieur de la nuit (Plon, 2005), Contours du jour qui vient (Prix Goncourt des lycéens, 2006, Plon) et Les Aubes écarlates (2009), deux recueils de textes courts et un texte théâtral.

Les livres qui m'ont marqué... (pas tous chroniqués)

  • 'Beloved' & 'Jazz' de Toni Morrison
  • 'Charlotte' de David Foenkinos
  • 'Crime et châtiment' de Dostoievski
  • 'Kite runner' de Khaled Hosseini
  • 'La joueuse de go" de Shan Sa
  • 'Le quatrième mur' 'Profession du père' de Sorj Chalandon
  • 'Les enfants de Minuit' de Salman Rushdie
  • 'Sombre dimanche' & "L'art de perdre" d'Alice Zeniter
  • 'Sous le soleil des Scorta' et 'Eldorado' de Laurent Gaudé
  • "1984" de George Orwell
  • "Au Zénith" de Dong Thuong Huong
  • "Candide" de Voltaire
  • "En attendant Godot" de Samuel Beckett
  • "Fanrenheit 451" de Bradbury
  • "L'écume des jours" de Boris Vian
  • "L'insoutenable légéreté de l'être", de Milan Kundera
  • "L'œuvre au noir" de Marguerite Yourcenar
  • "L'ombre du vent" de Carlos Ruis Zafon
  • "La métamorphose" de Kafka
  • "La vie devant soi" de Romain Gary
  • "Le Hussard sur le toit" et "Les âmes fortes" de Jean Giono
  • "Le parfum" de Patrick Suskind
  • "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde
  • "Le rouge et le noir" de Stendhal
  • "Les Cavaliers" de Joseph Kessel
  • "Les Déferlantes" de Claudie Gallay
  • "Les Raisins de la Colère" de John Steinbeck
  • "Malevil" de Robert Merle
  • "Mr Vertigo" de Paul Auster
  • "Sur la route" de Jack Kerouac
  • à suivre
  • L'univers de Haruki Murakami
  • Les contes d'Alessandra Barrico
  • Les polars de Fréd Vargas
  • Les romans de Sepulveda
  • Les romans de Yasunari Kawabata

Grand Canyon

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