Horloge dragonesque

"Le Défenseur du temps", du sculpteur Jacques Monestier

Inaugurée en 1979.

Horloge à automates à l'arrêt depuis 2003...

294: 'A ce stade de la nuit' de Maylis de Kerangal

Genre : nuit blanche de méditations

Histoire

3 octobre 2013, Lampedusa, naufrage d'un navire de migrants, un bateau venu de Lybie, plus de 300 victimes. Parmi les corps repêchés, des femmes et des enfants.... L'horreur. Deuil national en Italie.
La narratrice, l'auteure, laisse son imaginaire dériver pendant cette nuit d'octobre.

Impressions

L'annonce de ce désastre nocturne inspire à Maylis de Kerangal -insomniaque ?-  un  vagabondage de l'esprit. Elle sonde ses souvenirs,

- de lectures (dont un roman de l'auteure...): 'Le chant des pistes' de Bruce Chatwin, 'Le guépard' de Giuseppe Tomasi di Lampedusa -qui est devenu le film mythique

- de films, le 'Guépard ' et 'Swimmer' avec Burt Lancaster
- de voyages, en Sibérie, à Stromboli...

Elle musarde de réflexions en réflexions. Son écriture est très belle, ciselée.

"Je me dis parfois qu'écrire c'est instaurer un paysage. "

"J'aime l'idée que l'expérience de la mémoire, autrement dit l'action de se remémorer, transforme les lieux en paysage, métamorphose les espaces illisibles en récit. "

J'aime les liens secrets qui se tissent fortuitement entre mes lectures. Et quand on considère que Koudjuak est une île, le lien est tout trouvé...

"Les îles, et plus encore les îles désertes, sont pour cela des matériaux de haute volée, leur statut géologique amorçant déjà une écriture, portant un récit. Essaimées sur la mer, les îles surgissent comme des creusets à fictions, ou des aimants dispersés sur l'imaginaire."

Petit livre -74 pages- dense et élégant. Séduit.

293: "Toutes choses scintillant" de Véronique Ovaldé

Genre : Bhopal sur banquise

Histoire

Koudjuak est une île polaire victime d'un 'Grand Malheur': une catastrophe industrielle.  Une pollution terrible a été dispersée par l'usine, désormais fermée depuis une décennie. Poissons ventre à l'air, chiens empoissonnés, oiseaux contaminés, et la population sans doute condamnée et abandonnée.

Nikko, la narratrice, est la seule survivante parmi les enfants expulsés en nombre des matrices des femmes enceintes ce jour de malheur.

Impressions

Ecriture très épurée, sans fioritures.
Froid glaçant et mortel, pauvreté noyée dans l'alcool frelaté et dans le sexe, violence entre hommes et envers la faune de la plaine que le père de Nikko décime chaque nuit, souffrance de la maladie inconnue qui ronge le corps.
Nikko fait face à ces éléments  tragiques et violents avec une volonté et une force qui captivent. 

"J'ai dix-sept ans, j'aime ce froid et mon lac - ses cailloux doux et ronds -, je n'ai pas peur de mourir, j'ai toujours confiance en chacun des organes de mon corps, ils ne ma lâcheront pas tant que je n'aurai pas vu ce qui se passe outrocéan, tant que je n'aurai pas trouvé pour m'y abriter de la tanière de l'ours qui me visitait, enfant "

Un roman assez dérangeant, au thème pouvant être extrait d'un fait réel d'accident de pollution comme Bhopal. Mais en terre glacée, dans le monde des ours et de la banquise.

Lever du jour

292: 'Romanesque' de Tonino Benacquista

Genre : road-movie spatio-temporel d'un couple amoureux fou

Histoire

Un couple de Français en cavale s'octroie le plaisir d'assister à une représentation théâtrale d'un classique: "Les mariés malgré eux". 1000 ans séparent ces 2 spectateurs de l'histoire de ce braconnier et de cette glaneuse qui tombent éperdument amoureux l'un de l'autre. Quoique...

Impressions

Waouh, un roman qui fait voyager le lecteur et l'amour dans le temps et dans l'espace.
Troubadour, trouvère, l'auteur conte son histoire fantastique. La plume mélange les genres, l'Odyssée à 'Tristan et Iseult', une sorte de conte philosophique se dessine. 

Un roman très bien construit, haletant et riche de thèmes d'actualité. Coup de cœur.

Octobre estival

Et le Mont-Blanc brille à l'horizon.

291: 'A cause de la vie' de Véronique Ovaldé & Joann Sfar

Genre : amour courtois dans les années 80

Histoire

Les années 80 (où on enregistre encore sur des cassettes audio magnétiques...).
Nathalie, ou plutôt "Sucre de Pastèque", est une jeune fille fantasque, solitaire, habite avec sa mère au cinquième étage du 12 rue Céleste-Cannard, à Paris.
Eugène Lefèvre et ses parents ont emménagé il y a quelques semaines au sixième étage.  Eugène est complexé car il est bègue et lui aussi rechigne à aller à l'école. Il préfère la compagnie de sa collection de dinosaures et les inventions loufoques de son père.
Ces 2 jeunes gens assez inadaptés à leur société moderne vont évidemment se rencontrer...

Impressions

Livre en poésie douce et loufoqueries...
Un ouvrage hybride entre le roman et la bande dessinée.
J'aime le graphisme de Joann Sfar, ces traits 'fragiles', rêveurs. Le texte de l'écrivaine est simple, pas transcendant mais adapté à une lecture jeunesse.
L'ensemble est doux, couleurs pastels, avec une fin particulièrement émouvante.
Un petit regret tout de même: le rapport entre le texte et les illustrations n'est pas explicite. Joann reprend des citations choisies de manière un peu fortuite ou arbitraire, une relation de dialogue manque entre ces deux formes d'expression.

Un livre roman-Bd un peu déjanté et sympa.

290: 'Kabukicho' de Dominique Sylvain

Genre : "Elle dort ici" dans la "Cité des Mensonges"

Histoire

Kabukicho est le quartier chaud de Tokyo. Illuminés par des enseignes multicolores, les bars populaires côtoient les clubs privés comme celui de Gaïa. Kate Sanders y travaille comme hôtesse. Sans prévenir elle disparaît...

Impressions

L'auteure Française a longtemps vécu au Japon (10 ans à Tokyo).
Elle nous immerge dans les quartiers chauds de Tokyo, Kabukicho et Roppongi Hills. Les chapitres sont courts, la narration est portée par plusieurs protagonistes de l'histoire, les personnages s'étoffent efficacement d'une profondeur psychologique, tous les ingrédients sont là pour donner envie d'en savoir plus. On se met à éprouver de la sympathie ou juste de l'empathie pour Yamada, le flic cassé qui tente de revenir dans le coup après une grande épreuve, pour le séduisant Yudai, 'le menteur de génie', pour Sanae la tenancière si secrète du Club Gaïa, pour le père de Kate, sûr de lui et pressé, pour Akiko, amoureuse pitoyable de Yudai, pour Marie, la colocataire de Kate et même pour Namba, le massif et musclé Yakuza qui sait se montrer extrêmement violent.

" Elle aurait dû être heureuse, mais le départ de Jason avait congelé son coeur. La vie soufflait le chaud, mais surtout le froid.

Elle redressa la tête, prit une grande inspiration. Ca ne l'empêcherait pas d'aller jusqu'au bout."

Belle référence au roman de Kawabata, 'Les Belles Endormies', avec un jeu d'effet miroir...

Un polar captivant, riche de par la psychologie des personnages et la peinture de la société japonaise loin des clichés.

Le Monde:
Loin des clichés autour des mangas et des sumos, elle décrit de l’intérieur les codes et les règles de la face cachée d’un Tokyo, où, au sexe tarifé, les cadres japonais exténués préfèrent une soirée de bavardage avec une hôtesse.

BD blog: 'La Tristesse de l’éléphant" de Nicolas Antona & Nina Jacqmin

Genre : triste clown et amoureux

Histoire

Le héros, rondouillard, vit dans un orphelinat. Souffre-douleur de ses compagnons, il ne connaît de répit que quand le cirque Marcos plante son chapiteau dans sa ville.

Impressions

Dessin au crayon noir, avec des pointes de couleur, tout en nuance ombragée.
C'est tendre, pudique, regorge d'émotions, et sans sensiblerie.

Belle histoire d'amour,  touchant.

289: 'L'écrivain de la famille' de Grégoire Delacourt

Genre : semi-autobiographie romancée (dixit l'auteur)

Histoire

Le narrateur retrace sa vie depuis les espoirs familiaux nés de son premier poème à 7 ans jusqu'à ces années où c'est à son tour de prendre en charge sa famille, Dumbo, l'amante, Claire et Hadrien...

Impressions

Cynique, désabusé, mélancolique, triste, 
      mais aussi
drôle, tendre, fusionnel, débordant d'amour,
    comme la vie.

Même si le thème du titre est au cœur de l'histoire, c'est un livre qui parle avant tout d'un destin de famille qu'on peut croiser tous les jours.
L'auteur cisèle les mots, avec délicatesse et rythme. Publiciste de métier, il sait créer des formules 'choc' mais aussi nous émouvoir, capter le lecteur sur la durée. Beaucoup plus raffiné, plus émouvant que Beigbeder ('un roman français').

" Nous passâmes quelques jours au Touquet. 

...

Je profitai de ma mère comme jamais auparavant, rattrapai le temps perdu, les années sans elle.

...

Je découvris qu'elle était gourmande, lui achetai un kilo de chocolat au Chat Bleu."

"Quand on est très petit, la longueur des bras permet juste d'atteindre le cœur de ceux qui nous embrassent. Quand on est grand, de les maintenir à distance." 

"Si on dit qu'un bonheur n'arrive jamais seul, les ennuis, eux, arrivent toujours en bande."

Un récit émouvant. Du rire aux larmes et vice-versa.