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Liste par auteurs & titres dans Kronik list

samedi 27 mars 2021

443: 'Rien ne s'oppose à la nuit' de Delphine de Vigan

Genre : mémoire familiale

Histoire
Delphine De Vigan raconte l'histoire de sa famille maternelle centrée au tour du parcours de Lucile, sa mère. Pour comprendre le suicide, pour essayer de combler les trous, pour revivre des souvenirs lumineux.
Au risque de se fourvoyer, de dénaturer, de blesser et de se fâcher avec ses proches.

Impressions
Récit touchant.
Dont elle décrit la difficulté du processus d'écriture.
Et s'interroge régulièrement sur le pourquoi écrire cette biographie, même imparfaite, plutôt qu'une fiction.

"J'écris ce livre parce que j'ai la force de m'arrêter aujourd'hui sur ce qui me traverse et parfois m'envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d'avoir peur qu'il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l'emprise d'une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra dans l'ombre.

Premières impressions: quel destin sombre pour la fratrie de la mère de Lucille est cruel. Le nombre de frères morts jeunes est , que de fréquents suicides dans l'entourage !

"Je ne me suis jamais vraiment intéressée à la psychogénéalogie ni aux phénomènes de répétition transmis d'une génération à une autre qui passionnent certains de mes amis. J'ignore comment ces choses (l'inceste, les enfants morts, le suicide, la folie) se transmettent.
Le fait est qu'elles traversent les familles de part en part, comme d'impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni."

L'écrivaine se met en danger mais poursuit.
"Avais-je besoin d'écrire ça? Ce à quoi, sans hésitation, j'ai répondu que non. J'avais besoin d'écrire et ne pouvais rien écrire d'autre, rien d'autre que ça. La nuance était de taille."
"L’écriture me met à nu, détruit une à une mes barrières de protection, défait en silence mon propre périmètre de sécurité"

Nous entrons par la petite porte dans cette famille pour le moins atypique et assistons à leur vie au quotidien, ainsi qu’à tous les grands événements qui ont marqué la famille en général et plusieurs de ses membres en particulier.
En dépit de cet aspect 'exercice' personnel qui amène à pénétrer dans l'intimité de cette famille, j'ai été 'embarqué' par ce récit sensible. La personnalité si complexe de Lucile m'a bouleversé; une femme bipolaire, qui doit lutter contre sa souffrance psychique, pour continuer sa route, pour continuer à prendre soin de ses deux enfants. Les mots de l'auteure m'ont touché, par leur sincérité, par leur humanité.

Du pouvoir de destruction du Verbe mais aussi du silence. Un livre très personnel, s sensible et touchant.

Une grand nombre de prix ont récompensé ce roman:
  • Elle - Grand Prix des lectrices - Roman - 2012
  • Madame Figaro - Grand prix de l'héroïne - Roman - 2012
  • Fnac - Roman - 2011
  • France Télévisions - Roman - 2011
  • Renaudot - Prix des Lycéens - 2011

lundi 22 mars 2021

442: 'La septième fonction du langage' de Laurent Binet

Genre : farce burlesque polaro-politico-intellectuelle

Histoire

Le point de départ est la mort du philosophe Roland Barthes, renversé par une camionnette de blanchisserie le 25 février 1980. L'hypothèse de Laurent Binet, l'auteur, est qu'il s'agit d'un assassinat...
Le commissaire Bayard est chargé d'enquêter sur cette hypothèse. Il s'adjoint d'un second en la personne d'un jeune professeur en sémiologie, Simon Herzog, pour l'aider à traduire les propos de ces intellectuels que le commissaire ne comprend pas.

"- Je vous réquisitionne. Vous m'avez l'air un peu mois abruti que les chevelus habituels et j'ai besoin d'un traducteur pour toutes ces conneries."

Et ce duo remonte 'méthodiquement' le fil des dernières rencontres du philosophe avant son accident.



Impressions

Conspiration fictive autour d'une arme du langage issue de la sémiologie, la science des signes.

Roman loufoque, où l'auteur prend prétexte de cette hypothèse d'assassinat pour imaginer des scènes incongrues et parfois même diffamatoires, avec des personnages célèbres, certaines décédées et d'autres encore parmi nous.


Dans la première partie du roman qui prend place en France, les deux enquêteurs croisent le milieu intellectuel des années 80. Ce milieu des philosophes post-modernistes constitue le cadre autour duquel le récit tourne. L'auteur ne se prive pas de s'en moquer, voire de les ridiculiser.

Jacques Derrida, Roland Barthes, Jacques Lacan
Michel Foucault, Gilles Deleuze, jean-François Lyotard

Dans le café de Flore, Françoise Sagan lit à Jean-Paul Sartre les définitions d'une grille de mots croisés du journal 'Le Monde'. Une rencontre qui s'est réellement passée ?
François Sagan sur la terrasse du Flore


Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir au café Flore

Jean-Edern Hallier fait irruption dans le café Flore, agité et exubérant, faisant du ramdam. Episode furtif du roman, mais la folie agitée est bien annoncée.
Jean-Edern Hallier, fou Hallier ?
(En cherchant qui était cet écrivain.
Ce grand esprit diplômé d’Oxford et terriblement ambitieux a échoué à imposer définitivement une œuvre. Ni Les Aventures d’une jeune fille, qu’Hallier destinait au Médicis, ni Le Grand Ecrivain ou La Cause des peuples, qu’il aurait bien vus remporter le Goncourt, n’ont reçu ces prestigieuses récompenses. De là va naître une certaine rancœur à l’égard des nobliaux de l’aristocratie littéraire, qui prendra la forme de nombreuses piques cinglantes tout au long de sa carrière.)
L'hypothèse connue de son assassinat aurait pu être à l'origine d'un roman comme celui blogué dans cet article !

Michel Foucault, philosophe français (1926-1984)
Le philosophe Michel Foucault joue un rôle majeur dans le récit. Avec des scènes qui ne sont pas nécessairement flatteuses. Ainsi par exemple, alors que le commissaire l'interroge dans un sauna -les Bains Diderot- le philosophe reçoit une fellation par un de ses gigolos...
"Foucault, caressant la tête du jeune homme qui s'affaire entre ses jambes: "Roland avait un secret, vous savez..."


BHL n'est pas non plus épargné par l'écrivain. Par exemple, il se fait caresser l'entrejambe par le pied de la maîtresse de Lacan sous la table de la maîtresse de maison Julia Kristeva. Ou se fait jeter par un groupe d'intellectuels qui prévoit que BHL reviendra par une autre porte...

Autres 'cibles' de raillerie, l'écrivain Philippe Sollers et sa femme Julia Kristeva, qui sont également des personnages clés du roman.
    L'écrivain dans le rôle du mégalo narcissique qui s'écoute parler.
    Julia dans un costume d'espionne bulgare sans état d'âme.
Le burlesque et le ridicule ne leur sont pas épargnés, comme quand le couple et BHL débarquent à l'hôpital où Roland Barthes est alité. 
Barouf  théâtral !
"C'est un mouroir ! C'est un scandale ! De quoi se moque-t-on ?"
Philippe Sollers (écrivain français) et sa femmes Julia Kristeva ( philologue, psychanalyste et femme de lettres française d'origine bulgare)

Jaques Derrida joue aussi un rôle important dans l'enquête, finissant 'déconstruit' tel sa doctrine philosophique... 


Dans un épisode assez court, le philosophe Deleuze reçoit chez lui le duo Bayard-Herzog tandis que la télévision retransmet un match où s'affrontent Connors et Borg à Roland Garros.
"- Houla ! La vérité... Où c'est qu'elle commence, où c'est qu'elle finit.. On est toujours au milieu de quelque chose, vous savez."
Gilles Deleuze, philosophe français (1925 -1995)

Le philosophe Louis Althusser intervient aussi dans ce feuilleton rocambolesque.
Ce fut un des meneurs de la Révolution de mai 1968. Althusser enseigna à l’Ecole normale (ENS rue d’Ulm) depuis 1948, et dans ses premières années eut pour élève Michel Foucault, au coeur du roman de Laurent Binet; plus tard, ce seront Alain Badiou, Jacques Rancière ou Bernard-Henri Lévy.

Et comme raconté dans le roman, le 16 novembre 1980, il étrangle réellement Hélène Rytmann, dans ce qui a été considéré comme un accès de démence, lui évitant un procès

Louis Althusser et sa femme Hélène

Ce roman est aussi le prétexte à citer les intellectuels suivants qualifiés d''ennemis' de Barthes.
Alain Badiou

  Pierre Bourdieu

Pierre Vidal-Naquet

Cornelius Castoriadis

En interaction avec ces penseurs, les hommes politiques clés de 1980 interviennent aussi, plus qu'on ne le pense (mais je ne souhaite pas 'spoiler' l'intrigue...).

Le duo est reçu par Valérie Giscard d'Estaing où trône derrière son bureau massif une peinture de Delacroix,  "La Grèce sur les ruines de Missolonghi".
"Peut-être ,n'ai-je pas le sens du tragique de l'histoire, mais du moins je ressens l'émotion de la beauté tragique devant cette jeune femme, blessée au côté, qui porte l'espoir de la libération de son peuple !."

L'auteur décrit des réunions stratégiques de la garde rapprochée de Mitterand, Lang, Moati, Fabius, Attali, Debray, Badinter; ils cogitent en perspective des élections présidentielles. Avec en écho, l'évocation de l''incroyable coup de gueule de Balavoine face à Mitterand sur un plateau télévision le 19 mars 1980.

" [...] il est 13h30 et Mitterand a mille ans."


J'arrête de lister les protagonistes de cette histoire, reconnaissant que cette effervescence a contribué à rendre très vivant ce roman, mais aussi a établi une ambiance cacophonique.

Je terminerai par noter que ce roman est divisé en 5 chapitres, chacun défini par un lieu différent. Paris, Bologne, Ithaca (université de Cornell), Venise et enfin Paris.
Toujours plaisant de voyager, et ainsi... 
- d'assister à une fête dans la Ca' Rezzonico (« Maison Rezzonico ») de Venise, 
- de s'amuser d'une anecdote citée par Sollers autour de la statue de Campo Santo Stefano ou Morosini à Venise que les Vénitiens surnomment il Cagalibri (le chieur de livres),
- de découvrir 'la tempête'  de Giorgione datée entre 1506 et 1508, oeuvre reconnue comme étant le premier tableau de paysage,
- ou enfin d'apprendre que le cerveau d'Edward H. Rulloff, un célèbre tueur en série américain, est conservé dans du formol à l'université de Cornell...

Il Cagalibri à Venise

'La Tempête' de Giorgione, conservée aux Gallerie dell'Accademia de Venise


Cerveau d'Edward H. Rulloff, un célèbre tueur en série conservé à l'université de Cornell

Bref, vous l'aurez compris, ce roman est un gros foutoir.
L'écriture est fluide, et heureusement. Car en refermant ce livre, je me dis que c'était drôle et relevé mais que la farce aurait pu être plus courte. Par exemple les duels de langage du Club privé se multiplient, les rebondissements impossibles à la James Bond finissent par lasser.
En fait c'est un goût de trop qui subsiste sur la langue, de saturation en discours d'érudition philosophique, en joutes verbales, un sentiment d'excès de multiplication de personnages secondaires,  d'attentats et de tentatives d'assassinats loupés pour nos 2 guignols, de décès successifs dans l'entourage, de doigts coupés...
Toute cette aventure pour au final peu de chose. Et comme dit par Simon, 'Quel gâchis.
- Barthes, Hamed, son copain Saïd, le Bulgare du Pont-Neuf, le Bulgare de la DS, Derrida, Searle... Ils sont morts pour rien. Ils sont morts pour que Sollers puisse se faire couper les couilles à Venise parce qu'il n'avait pas le bon document. Depuis le début nous avons poursuivi une chimère.'

Roman policier sur fond politique et philosophique complètement barré. Un moment de lecture assez jubilatoire mais hélas trop de longueurs qui m'ont amené à saturation.

Une excellente analyse du roman: 

samedi 13 mars 2021

441: 'Purge' de Sofi Oksanen

Genre : deux naufragées brisées par une Histoire douloureuse

Histoire

La vieille Aliide vit seule dans sa ferme de la campagne estonienne.
Une jeune femme, Zara, brisée et en très grande détresse, échoue dans le jardin.
La forte peur réciproque réussira-t-elle à s'effacer en regard de la souffrance partagée de ces 2 femmes ?


Impressions

Les thèmes soulevés par cette histoire familiale sont lourds du passé historique de ce petit pays balte.

La vie d'Aliide aura été gangrenée par la jalousie, la trahison, la manipulation, l'amour désavoué, la lâcheté, des sentiments exacerbés par la peur, la terreur instaurée par les régimes politiques successifs qui oppressent les Estoniens. 
En 1992, l'Estonie a retrouvé son indépendance à l'issue d'un processus pacifique après la chute de l'Union Soviétique. Mais avant cette daté rédemptrice, les estoniens auront été pris en étau entre les nazis et les soviétiques qui régnèrent en maîtres sanguinaires, favorisant la délation, pratiquant la torture et organisant des déportations massives. Il y eut ainsi une série de déportations massives par l'Union soviétique d'Estonie en 1941 et 1945-1951. Les deux plus grandes vagues de déportations se sont produites simultanément en juin 1941 et mars 1949 dans les trois États baltes.

La jeune Zara, en plus de porter l'héritage du passé de sa famille, a perdu le contrôle de son destin, prisonnière de violents mafieux russes qui la prostituent, la séquestrent et l'enfoncent dans une déchéance sans fin.

Ces deux femmes partagent l'expérience de la souffrance physique au plus intime de leur corps. Elles connaissent aussi toutes les deux le poids de la peur quotidienne qui transit de froid.

"Mais la terreur de la fille était tellement vive qu’Aliide la ressentit soudain en elle-même…Mais maintenant qu’il y avait dans sa cuisine une fille qui dégoulinait de peur par tous les pores sur sa toile cirée … . La peur s’installait là, en faisant comme chez soi. Comme si elle ne s’était jamais absentée. Comme si elle ne s’était absentée. Comme si elle était juste allée se promener quelque part et que, le soir venu, elle rentrait à la maison."

La construction est intelligente et complexe, recourt à de très nombreux flashbacks qui progressivement soulèvent le voile sur les secrets sombres du passé.
Un roman poignant et utile pour ne pas oublier la violence de l'Histoire sur les Hommes et encore plus particulièrement envers les femmes.


Un roman sombre sur une histoire familiale meurtrie par la grande Histoire de l'Estonie. A lire pour ne pas oublier et lutter contre les oppresseurs d'aujourd'hui et demain.

Prix du roman FNAC 2010 et prix Femina - Etranger-  2010

Sofi Oksanen est une écrivaine finlandaise.
Elle est née en 1977 d'un père finlandais électricien et d'une mère estonienne ingénieure ayant émigré en Finlande dans les années 1970.
Avant de se consacrer à l'écriture, elle étudie la littérature à l'Université de Jyväskylä et à l'Université d'Helsinki ainsi que la dramaturgie à l'Académie de Théâtre d'Helsinki.
Elle est devenue en trois romans et quelques pièces de théâtre un personnage incontournable de la scène littéraire finlandaise.

Les livres qui m'ont marqué... (pas tous chroniqués)

  • 'Beloved' & 'Jazz' de Toni Morrison
  • 'Charlotte' de David Foenkinos
  • 'Crime et châtiment' de Dostoievski
  • 'Kite runner' de Khaled Hosseini
  • 'La joueuse de go" de Shan Sa
  • 'Le quatrième mur' 'Profession du père' de Sorj Chalandon
  • 'Les enfants de Minuit' de Salman Rushdie
  • 'Sombre dimanche' & "L'art de perdre" d'Alice Zeniter
  • 'Sous le soleil des Scorta' et 'Eldorado' de Laurent Gaudé
  • "1984" de George Orwell
  • "Au Zénith" de Dong Thuong Huong
  • "Candide" de Voltaire
  • "En attendant Godot" de Samuel Beckett
  • "Fanrenheit 451" de Bradbury
  • "L'écume des jours" de Boris Vian
  • "L'insoutenable légéreté de l'être", de Milan Kundera
  • "L'œuvre au noir" de Marguerite Yourcenar
  • "L'ombre du vent" de Carlos Ruis Zafon
  • "La métamorphose" de Kafka
  • "La vie devant soi" de Romain Gary
  • "Le Hussard sur le toit" et "Les âmes fortes" de Jean Giono
  • "Le parfum" de Patrick Suskind
  • "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde
  • "Le rouge et le noir" de Stendhal
  • "Les Cavaliers" de Joseph Kessel
  • "Les Déferlantes" de Claudie Gallay
  • "Les Raisins de la Colère" de John Steinbeck
  • "Malevil" de Robert Merle
  • "Mr Vertigo" de Paul Auster
  • "Sur la route" de Jack Kerouac
  • à suivre
  • L'univers de Haruki Murakami
  • Les contes d'Alessandra Barrico
  • Les polars de Fréd Vargas
  • Les romans de Sepulveda
  • Les romans de Yasunari Kawabata

Grand Canyon

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