339: 'La Trace' de Richard Collasse

Genre : sur les traces d'un Yubukiri* non tenue

Histoire

Le narrateur, la cinquantaine, est bien établie depuis 30 ans au Japon. Président d'une filiale de maison de luxe Française à Tokyo, marié à une japonaise qu'il adore, une belle maison à Kamakura.
Il reçoit à son bureau une lettre anonyme écrite en japonais... "Ce fut un coup de massue."

Impressions

Lecture envoûtante.
A priori un roman semi-autobiographique.
Récit de deux histoires qui se déroulent en parallèle : le parcours initiatique d'un jeune Français à la découverte du Japon 35 ans plus tôt et le présent du narrateur déstabilisé par cette lettre.
A travers ces 2 temporalités l'auteur tisse une histoire d'amour, une découverte de la psychologie, de la sociologie et culture japonaise très fine, un témoignage sur les premières traces que jeune ce narrateur a semées au cours de sa découverte du Japon.

« le passé, c'est la trace qu'on laisse derrière soi. »

Amoureux du Japon, cependant il ne peint pas un eldorado culturelle magnifié, il en décrit les subtilités et la gentillesse mais aussi l'herméticité et la complexité.

« Étranger à ce peuple, à ses mœurs, à sa culture, à l'expression même de ses sentiments, maladroit, pataud, aveugle les yeux ouverts, totalement dérouté, je ne me sentais pourtant pas étranger ni isolé. »

« Notre langue n'est pas faite pour communiquer, elle est faite pour nous protéger. C'est le premier cercle concentrique, le plus redoutable ! »

Dénouement digne d'une tragédie antique, mais chut !!

Gros coup de cœur, une belle initiation à la culture japonaise.  

*Yubukiri: promesse

Quelques auteurs japonais cités par Richard Collasse:

Yukio MISHIMA
Le Pavillon d'or
Après le banquet
Le Marin rejeté par la mer

Junichiro TANIZAKI
Journal d'un vieux fou
Le grondement de la montagne

Yasunari KAWABATA
Les Belles Endormies, et non pas de Tanizaki comme écrit l'auteur dans ce roman...
Pays de neige

Soseki NATSUME
Le pauvre coeur des hommes

Shikibu MURASAKI Le Dit du Genji 

338: 'Tu me plais' de Jacques Expert

Genre : romantisme métropolitain qui tourne au sordide

Histoire

Un jeune homme est fasciné par le galbe du cou d'une femme assise en face de lui dans la métro. Celle-ci est attirée par le charme de ce beau brun. Un coup de foudre digne d'un conte de fée qui va très vite se transformer en un thriller anxiogène...

Impressions
Un thriller rythmé par l'avancée inéluctable du métro, cadencé par les stations, arrêts éphémères et parfois trop courts pour pouvoir appréhender un serial killer...
L'auteur construit son intrigue autour du thème du hasard, des concours de circonstances qui peuvent changer le cours des existences.
Roman très court, on ne s'attache pas aux personnages. C'est une course contre la montre qui monopolise l'intrigue.
La construction est habile, l'étau se resserre alors que l'idylle s'envole.
Mon avis est mitigé. C'est intéressant mais pas palpitant, plutôt laborieux.

Voilà qui devrait dissuader les jolies filles d'adresser la parole aux beaux garçons croisées dans le métro ! Pas incontournable, à lire seulement si vous voulez vous faire peur dans le métro :)

337: "Sur les chemins noirs' de Sylvain Tesson

Genre : freak hors des chemins battus, pour se réparer

Histoire

'... j'allais ouvrir compulsivement les feuilles de l'IGN. Ces cartes d'état-major étaient des merveilles, on pouvait se réjouir de posséder une pareille couverture du pays. ... La carte était le laissez-passer de nos rêves.'
'Ces tracés en étoile et ces lignes piquetées étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C'étaient mes chemins noirs."
Loin de routes et des villes, Sylvain part se rééduquer et rééduquer son corps d'infirme suite à sa chute d'un toit...

Impressions

N'y allons pas par 4 chemins, c'est un énorme coup de coeur !
Récit autobiographique de cet auteur, aventurier de nos temps modernes, que je suis depuis ses premiers pas avec Alexandre Poussin en Himalaya.
(https://www.babelio.com/livres/Poussin-La-marche-dans-le-ciel--5000-kilometres-a-pied-a-/334692)

Chemin faisant, Sylvain partage ses digressions sur la géographie, sur l'art, sur la ruralité, sur notre société moderne.
'Nous nous extirpions du dispositif.
Le dispositif était la somme des héritages comportementaux, des sollicitations sociales, des influences politiques, des contraintes économiques, qui déterminent nos destins, sans se faire remarquer. Le dispositif disposait de nous.'

Il construit et nourrit sa 'cartographie mentale de l'esquive."
Des amis, sa soeur viennent l'accompagner pour un bout de chemin.
Son cheminement l'amène à vivre de belles rencontres, parfois incongrues.
'Je m'étais enrichi de vingt euros au monastère car une vieille dame pris de pitié pour ma défiguration m'avait glissé un billet... C'était la première fois que ma gueule cassée suscitait pareil élan de compassion ... Si j'avais vécu dans les temps médiévaux, en plein rêve de Bosch, ma disgrâce serait passée inaperçue.'

Bouffée d'air et de liberté dans notre monde policé, numérisé et déshumanisé. A lire sans hésitation !

Conseil de lecture de Sylvain
Thomas de Quincey, Confessions d'un mangeur d'opium.

336: 'Réparer les vivants' de Maylis de Kerangal

Genre : au cœur de la vie et de la mort

Histoire

Simon Limbres, un jeune surfeur est en état de mort cérébrale suite à un accident de voiture. Simon est mort mais ses organes peuvent encore donner la vie à d'autres ....

Impressions

Plaidoyer pour le don d'organes, sujet délicat.
Maylis de Kérangal réussit à plaider sans pathos, décrivant avec un réalisme presque digne d'un documentaire une course contre la montre pour la vie. C'est émouvant, percutant.
Ce roman constitue aussi un hommage au personnel soignant, débordant d'humanité en dépit de la souffrance physique et émotionnelle de leurs patients mais aussi d'eux-mêmes.
L'écriture est soignée, juste, précise, marque de fabrique de cette auteure.
Maylis nous dépeint l'intimité des hommes, la colère, le déni, la chagrin... Et j'avoue avoir ressenti la vague de tristesse emphatique m'inonder au cours de cette lecture.

Très beau roman, chirurgien dans son écriture, sensible et sobre dans son portrait des hommes. Emouvant. Coup de coeur...