Un roman anthropomorphique qui fait hommage aux rats de librairie
Roman récemment traduit en Français chez Actes Sud (2006), iconoclaste à l’image de son auteur qui publie là à 68 ans son premier manuscrit. Si on se réfère à sa biographie, Sam Savage a exercé une liste de professions à la Prévert : professeur, mécanicien pour vélos, charpentier, pêcheur, commercial, imprimeur…
Il n’est donc pas surprenant de découvrir dans cet ouvrage l’histoire d’un rat, Firmin, qui après avoir englouti des chapitres entiers de livres pour tromper sa faim, se révèle capable de déchiffrer les pages d’écriture. Cet appétit de lecture pourra s’exercer sans peine, puisque notre héros et ses 12 frères et sœurs sont nés dans le sous-sol d’une librairie de Boston. C’est d’ailleurs parce que seules 12 mamelles étaient disponibles pour allaiter la portée que Firmin, moins vaillant que les autres, a dû se rabattre sur le papier mâché…
Firmin découvre alors le monde à travers ses lectures boulimiques, les grands auteurs bien sûr mais aussi les autres ouvrages disponibles dans les autres sections de la librairie, connaissances hétéroclites qu'il exploite jusque dans son exploration du réseau de tuyaux de l'immeuble en se référant à un manuel de plomberie. Cette activité cérébrale développe alors chez ce rat une grande mélancolie, nourrie d’un côté par son isolement intellectuel au sein de sa communauté animale et d’un autre côté par son incapacité de se faire comprendre des hommes. Son ultime tentative de communication avec les hommes en gesticulant le langage des signes auprès de 2 jeunes filles se solde par une jambe cassée sous un coup de bâton de ses poursuivants...
Ce roman anthropomorphique chante incontestablement les louanges de la lecture, présentée comme un vecteur d’évasion, d'imagination; Firmin découvre le monde, sa géographie, son actualité, son histoire. Mais aussi -et c'est là l'originalité principale de ce livre- la lecture un germe de réflexion, d’idées hors des sentiers battus, voire anticonformistes: ces idées peuvent entraîner un rejet par les autres et un sentiment de décalage par rapport à ses congénères, d'où la grande solitude du lecteur vécue par Firmin. Cette atmosphère assez amère est renforcée par le décor de ce récit, le quartier de Scollay Square à Boston, où les immeubles sont abattus les uns après les autres pour faire place à un grand projet de rénovation urbaine.
Un semblant d’optimisme s’installe à mi-chemin du roman, quand Firmin est recueilli par Jerry, un écrivain marginal de l’immeuble. Mais ce ne sera qu’un bref entracte…
Un portrait agréable à lire, riche en références littéraires entremêlées avec humour dans les errances de Firmin, qui vous remuera le jour où un rat "petit, poilu, large de hanches et rétroprognathe" vous fixera des yeux…
Ce récit en forme de fable de la Fontaine porté par la voix du rat peut être déchiffré comme une allégorie du pouvoir de la lecture à faire rêver, réfléchir, sortir des sentiers battus de la normalisation, une démarche marginalisée dans un monde lobotomisé, saturé de télévision, de consommation multimédia sans efforts. Un avant-goût de "Farenheit 451", de "1984"...
Un blog calepin pour y noter mes impressions de lectures et de voyages ou de randonnées à travers quelques clichés photographiques.
samedi 16 janvier 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Les livres qui m'ont marqué... (pas tous chroniqués)
- 'Beloved' & 'Jazz' de Toni Morrison
- 'Charlotte' de David Foenkinos
- 'Crime et châtiment' de Dostoievski
- 'Kite runner' de Khaled Hosseini
- 'La joueuse de go" de Shan Sa
- 'Le quatrième mur' 'Profession du père' de Sorj Chalandon
- 'Les enfants de Minuit' de Salman Rushdie
- 'Sombre dimanche' & "L'art de perdre" d'Alice Zeniter
- 'Sous le soleil des Scorta' et 'Eldorado' de Laurent Gaudé
- "1984" de George Orwell
- "Au Zénith" de Dong Thuong Huong
- "Candide" de Voltaire
- "En attendant Godot" de Samuel Beckett
- "Fanrenheit 451" de Bradbury
- "L'écume des jours" de Boris Vian
- "L'insoutenable légéreté de l'être", de Milan Kundera
- "L'œuvre au noir" de Marguerite Yourcenar
- "L'ombre du vent" de Carlos Ruis Zafon
- "La métamorphose" de Kafka
- "La vie devant soi" de Romain Gary
- "Le Hussard sur le toit" et "Les âmes fortes" de Jean Giono
- "Le parfum" de Patrick Suskind
- "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde
- "Le rouge et le noir" de Stendhal
- "Les Cavaliers" de Joseph Kessel
- "Les Déferlantes" de Claudie Gallay
- "Les Raisins de la Colère" de John Steinbeck
- "Malevil" de Robert Merle
- "Mr Vertigo" de Paul Auster
- "Sur la route" de Jack Kerouac
- à suivre
- L'univers de Haruki Murakami
- Les contes d'Alessandra Barrico
- Les polars de Fréd Vargas
- Les romans de Sepulveda
- Les romans de Yasunari Kawabata
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire