Genre : mémoires en péril
Histoire
Une photographe, ancienne réfugiée bosniaque, rend régulièrement visite à sa belle-mère en maison de retraite. La vieille dame perd la mémoire tandis que sa belle-fille tente d'oublier son passé douloureux.
Impressions
Court roman avec le thème de la maison de retraite qui apparait au premier abord, me rappelant d'autres lectures, comme Dernière adresse.
Et ma crainte: un roman de plus qui décrit ce lieu du vivre et du mourir ?
Avec ses habitants ...
"Les hommes sont rares dans ce lieu qui accueille surtout des veuves. Les hommes qui peuvent vieillir chez eux parce qu'ils meurent avant leur compagne."
"... entourée de vieux toute la journée, ce n'est pas drôle, tu sais."
et l'épreuve que peuvent constituer les visites...
"Des odeurs chaudes de nourriture, d'excréments et de produits de nettoyage. Respirer par la bouche."
"Je ne m'habitue pas à ce lieu du vivre et du mourir."
Au cours desquelles face à face entre deux générations souvent en décalage...
"Tu es d'une génération de femmes pour qui le sexe a créé trop d'inquiétude pour être du plaisir."
"Je ne dis rien, sauf la chance des femmes d'aujourd'hui de pouvoir travailler et gagner leur vie."
Et puis on découvre que la narratrice exerce le métier de photographe pour témoigner des massacres en Bosnie qu'elle a vécus au plus profond de sa chair...
"Tu ne vois pas l'intérêt de mon travail, préférant l'art qui magnifie le beau. L'art qui rassure."
"Mon obsession pour les lieux insolites et sans âme n'aurait rien eu de rassurant ...."
Et que de ce passé il lui faut gommer les souvenirs
"Des photos pour imposer à tous ce passé qui est encore hier pour moi, et dont on ne me demande jamais de nouvelles."
"C'est loin déjà tout ça, madame.
Une gifle à ma mémoire. Livres refermés alors que de nombreux corps sont encore disparus."
Et finement brossé, en écho à cette mémoire de souffrances, la vieille dame a elle aussi du oublier ses années d'enfance avec
"Une mère qui n'arrivait pas à t'aimer et te le faisait payer cher."
Et comble du sort, ce passé ne s'efface pas alors que la mémoire des événements récents et présents est grignotée peu à peu par la maladie d'Alzheimer.
"Alors qu'elle a oublié l'existence de ses petits-enfants, elle parvient à décrire chaque babiole de son appartement avec une précision étonnante."
"Ses yeux bleus qui cherchent ce que la mémoire restitue sans parvenir à nommer."
"L'angoisse, je la lis dans la pupille noire de son oeil qui ne parvient plus à trouver un point d'attache."
Ce chassé-croisé entre les souvenirs de cette femme réfugiée et de la vieille dame anime ce roman au rythme lent, comme celui des maisons de retraite.
Quelques phrases claquent et ponctuent le récit, comme:
- De l'adolescence. "Grandir exige du temps."
- Des émigrants de Calais. "Les vêtements oubliés plus tristes que des cadavres."
- Du déracinement. "Pour la première fois, il me semblait rentrer chez moi. Un chez-moi.."
- De l'isolement physiques des personnes âgées. "On ne peut pas exister si l'on n'est pas touchée".
Un roman que le lecteur quitte en espérant, que lors de ses vieux jours, il sera touché après avoir été touché...
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