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jeudi 2 janvier 2025

584: 'J'ai couru vers le Nil' de Alaa El Aswany

Genre : pays sous le diktat de l'injustice

Histoire
Sous forme de fiction, ce roman évoque la révolution égyptienne de 2011 qui a conduit à la chute du régime dictatorial du président égyptien Hosni Moubarak à la tête du pays depuis 1981. Un récit qui fait poindre l'émergence d'espoir de plus justice, d'une Egypte plus respectable...

Cette fresque est peinte à travers les intrigues politiques et la vie intime de plusieurs personnages, une mosaïque de voix dissidentes ou fidèles au régime, de lâchetés et d'engagements héroïques.
Impressions
Galerie de personnages très divers.
Certains sont terrifiants, comme le  général Ahmed Alouani, faux pieux et homme parfait, qui après avoir embrassé sa femme de cent vingt kilos, se rend à ses bureaux de l'Organisation pour assister à l'interrogation sous torture d'un prisonnier politique ... à coup de décharges électriques appliquées aux testicules,
Et d'autres sont très attachants, comme cet acteur de second rôle trompé par sa femme Nourane, journaliste au service des mensonges du gouvernement, ou la jeune enseignante qui se bat pouvoir enseigner sans être voilée.

C'est la peinture d'un pays sole joug d'une dictature sanglante et cruelle, et d'une société qui baisse la tête à l'exception de certains qui subissent alors humiliation, torture et assassinat sans justice.

Le démon le plus terrible est incarné par le cheikh Chamel dont on dit que "La chasteté, la droiture et la foi en Dieu sont les traits les plus authentiques de la personnalité." 
Alors qu'il s'avère être un charlatan, un escroc qui abuse de la religion pour s'en remplir plein les poches et assouvir ses désirs sexuels, sans scrupule.

De nombreuses scènes du roman se tiennent sur la place Tahrir, dans le centre du Caire: elle a symbolisé la révolution de 2011 qui a abouti à la démission du président Hosni Moubarak et à une libéralisation du régime.
Des dizaines de milliers d'Egyptiens s'y sont rassemblés pour appeler à "sauver la révolution" qui a renversé le président Hosni Moubarak et à purger le pays des restes de l'ancien régime.

Pour empêcher ces manifestations le gouvernement prend de nombreuses mesures dont les plus spectaculaires sont les violences ordonnées, selon la commission d’enquête, pour tuer des manifestants. Des tireurs d’élite des unités anti-terroristes ont été placés sur les toits des bâtiments pour tuer (tirs dans la poitrine et à la tête) ; des véhicules de la police ont roulé sur des manifestants. Le roman retranscrit sans concessions ces épisodes de la révolution égyptienne. 
Le gouvernement lance également une vague massive d’arrestations et de répression, coupe les moyens de communication, téléphonie mobile, réseaux sociaux, libère de prison de Wadi Al-Natroun et d’Abou-Zaabal des milliers de prisonniers, dont des Islamistes, pour mettre en scène une émeute, au moins dix-huit femmes subissent en plus de la torture des « tests » de virginité, et ont été photographiées nues par les militaires...

"—Mais oui. Tu imagines que la Sécurité d’État ignore tes activités ? Tu es membre de l’organisation Kifaya et tu pousses les ouvriers à la grève. C’est facile pour eux de te faire un procès où tu écoperais au moins de dix ans de prison.
-Sous quelle accusation ?
-Cette question n’a pas de sens en Égypte. Ton père et moi, nous avons passé de longues années en prison. De quoi étions-nous accusés ? L’État égyptien te condamne d’abord et ensuite cherche un motif."

Tous ces événements sont vécus à travers les personnages du roman.

J'ai couru vers le Nil. Les grenades lacrymogènes remplissaient l'atmosphère et moi je pleurais, je ne sais pas si c'était à cause du gaz, ou à cause de moi, ou si c'était pour tout ça à la fois. En revenant j'ai vu de mes propres yeux un grand nombre de morceaux humains laissés par le tank : des intestins, des cerveaux, des jambes, des moitiés de corps. Tout cela je l'ai vu. Mais le plus dégoûtant, c'est que j'ai vu des gens qui couraient, terrorisés, et qui marchaient dessus. Personne ne pense plus. La seule chose qui compte c'est de s'en sortir. On voit partout devant soi des morceaux de corps de martyrs profanés qu'on piétine sans le moindre respect. Les gens courent dessus et personne ne pense à regarder vers le bas.

Du sang, des humiliations, des morts, des tortures pour un monde meilleur ?

Clairement non, c'est une conclusion désespérante que donné l'auteur, même si une partie des protagonistes conserveront malgré tout leur foi dans la lutte pour un avenir meilleur. Pour les autres, les tenants de la dictature comme la partie dégoutée des révolutionnaires, il y a une fatalité égyptienne, un peuple dont la mentalité multi-millénaire d'esclaves rend tout changement impossible. 

"Le ministre hocha la tête et le général Alouani poursuivit avec passion :
- La révolte et les manifestations sont une chose étrangère à la nature des Egyptiens. Nous avons de tout temps été un peuple obéissant qui respecte ses chefs, même lorsqu'il est en colère contre eux. Ce qui se passe sur la place Tahrir est une anomalie par rapport à la mentalité égyptienne. Notre but est d'envoyer aux Egyptiens le message que la seule chose qu'apportent les manifestations, c'est l'anarchie. Notre but est de dire aux citoyens ordinaires : tu as le choix entre soutenir les manifestants et perdre ta sécurité ou bien soutenir l'Etat qui te protège.
- J'ai donné l'instruction de couper les communications jeudi avant les manifestations de vendredi. La coupure des téléphones portables et d'Internet privera les fauteurs de troubles de tout moyen de communication. Pendant ce temps, les communications chiffrées du ministère continueront à fonctionner.
- Les officiers ont des instructions orales d'employer les armes pour maîtriser les manifestations. Il n'y a aucun document qui atteste qu'ils disposent de balles réelles. Les munitions mentionnées dans les registres sont des cartouches lacrymogènes.
- Nous ouvrirons à peu près cinq prisons et le nombre des fuyards devrait être de vingt-cinq à trente mille prisonniers. Bien sûr, comme je l'ai écrit dans le plan, le but est de produire un sentiment de panique parmi les Egyptiens afin de les amener à prendre position pour l'Etat contre les fauteurs de troubles.
- Cela sera présenté comme des tentatives de révolte dans les prisons auxquelles les officiers ont fait face, mais au cours desquelles les prisonniers ont été aidés dans leur fuite par des forces extérieures."


Une claque, un roman magnifique et humain. Par un écrivain courageux et amoureux de son pays.

Ce roman est interdit de publication en Egypte, et El Asnawy, depuis 2014
est interdit de télévision et de toute collaboration dans la presse égyptienne.

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