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vendredi 5 août 2022

497: "La Plus Secrète Mémoire des hommes" de Mohamed Mbougar Sarr

Genre : Jeu de piste littéraire

Histoire
2018, Diégane Latyr Faye est un jeune écrivain sénégalais qui vit à Paris.
La rencontre avec une écrivaine africaine, résidente à Amsterdam, lui permet d'enfin de lire un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain", écrit par un .
Fasciné voire obsédé par son mystérieux et éphémère auteur, T;C. Elimane, Diégane se met à suivre sa piste...
L'auteur près du restaurant Chez Drouant, le 3 novembre 2021, à Paris

Impressions
C'est un roman charpenté, dense, qui aborde plusieurs thèmes.

Cette lecture est étonnamment rentrée en résonance pour moi avec plusieurs livres lus récemment.

C'est d'abord et avant tout un roman sur l'écriture, la littérature et le regard des critiques.
Et c'est plus précisément la combinaison du thème de la littérature et d'une enquête visant à retrouver l'auteur du roman à succès qui se retrouve dans :
Le hasard de mes cueillettes littéraires ?...
On croise Borges mais aussi Flaubert ou Wittgenstein, Pascal en sa nuit de feu ou Paul Valéry .

C'est aussi un roman sur le colonialisme et la possibilité pour un auteur noir d'être reconnu pour son talent et non pas pour son exotisme. Le milieu intellectuel dominé par les blancs attend un récit 'black'.
Et là encore, je retrouve le thème de 'L'effacement' de Percival Everett.

Non seulement la capacité d'écrire un tel roman est remis en cause, mais T.C. Elimane est accusé de plagiat. En surfant sur le web, j'ai appris que c'est Yambo Ouologem, écrivain malien qui a inspiré le personnage fictif d'Elimane. Lauréat du Prix Renaudot en 1968 pour le Devoir de violence, après avoir été accusé d'avoir plagié Graham Greene et André Schwartz-Ba, comme T.C. Elimane, cet écrivain disparait des médias. Il rejoint le Mali à la fin des années 1970 et sa discrétion est telle qu'il a été déclaré mort dix ans avant sa mort véritable en 2017 !

Il faut le reconnaître: T.C. Elimane, dont nous avons tant aimé le livre, est un plagiaire. Nous maintenons, malgré tout, que nous tenons là un auteur de très grand talent, quoi qu'en pensent des imbéciles comme Vigier-d'Azenac. Toute l'histoire de la littérature n'est-elle pas l'histoire d'un grand plagiat ? Qu'eût été Montaigne sans Plutarque ? La Fontaine sans Ésope ? Molière sans Plaute ? Corneille sans Guillén de Castro ? C'est peut-être le mot « plagiat » qui constitue le vrai problème. Sans doute les choses se seraient-elles déroulées autrement si, à la place, on avait employé le vocable plus littéraire, plus savant, plus noble, en apparence au moins, d'innutrition.
Le Labyrinthe de l’inhumain affiche trop ses emprunts. C'est son pêché. Être un grand écrivain n’est peut-être rien de plus que l’art de savoir dissimuler ses plagiats et références "

J'ai apprécié la touche de magie inquiétante et de fantastique étrange du récit, avec des légendes africaines qui m'ont rappelé l'excellent 'Un océan, deux mers, trois continents' de Wilfried N'Sondé.
Sans oublier la dimension sociale des femmes africaines qui ne peuvent aspirer à être libres qu'en quittant le village, à l'image de Mossane et des femmes du roman 'Les impatientes' de Djaïli Amadou Amal.
Ce roman dénonce aussi les sacrifiés africains de l'histoire en évoquant la mémoire des tirailleurs sénégalais.

Le récit est construit comme un jeu de pistes entre enquête policière, témoignages de ceux qui ont croisé Elimane, et roman initiatique et parfois politique.

"J'ai dit que dans un pays comme le nôtre, le suicide était un mode d'action politique horrible mais efficace, efficace parce que horrible, peut-être la seule protestation encore audible de nos dirigéants. Le suicide fait parfois basculer l’histoire : regarde Mohamed Bouazizi en Tunisie en 2011, regarde Jan Palach en Tchécoslovaquie en 69, regarde Thîch Quàng Dûc au Vietnam en 63, et je ne te parle pas, ici, du suicide mythique des femmes de Nder, qui ont préféré se tuer par le feu dans une case plutôt que de se rendre aux colons. Tous ces suicides qui ont provoqué un retentissement, frappé les esprits, eu une signification politique. Peut-être qu’il ne reste que ça aux populations de nos pays désespérés. Peut-être que c’est ce que les jeunes doivent faire : se suicider, puisque leur vie n’est pas une vie."


Le texte traduit une forte érudition de l'auteur, marquée par un vocabulaire qui m'a demandé de recourir au dictionnaire.
  • prolégomènes = notions préliminaires nécessaires à la compréhension
  • schibboleth = mot venant de l'hébreu désignant ce qui ne peut être utilisé ou prononcé correctement que par les membres d'un groupe
  • conseil consuétidunaire, i.e. synonyme de coutumier
  • des figures involucrées, i.e. corrompues...

C'est un roman exigeant, le lecteur peut se lasser voire être perdu par la multiplication :
  • des points de vue sautant d'un narrateur à l'autre, (Diégane, Siga D., Musimbwa l'ami écrivain congolais, Ousseynou Koumakh,  la poétesse argentine...),
  • des styles d'écriture,
  • des références littéraires 
  • des temporalités
Au final, force est de constater que ce roman ne me laisse pas de marbre. Bravo à ce jeune auteur pour lequel je ne souhaite pas un destin maudit similaire à celui de son héros de papier !
"Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore, un destin écrit à l’encre invisible."

"Les grandes œuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elles ôtent de nous le superflu. De leur lecture, on sort toujours dénué: enrichi, mais enrichi par soustraction. ."


Roman labyrinthique, tant dans la dimension temporelle que narrative. Un livre riche où j'aurai sans doute plaisir à me replonger.

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Les livres qui m'ont marqué... (pas tous chroniqués)

  • 'Beloved' & 'Jazz' de Toni Morrison
  • 'Charlotte' de David Foenkinos
  • 'Crime et châtiment' de Dostoievski
  • 'Kite runner' de Khaled Hosseini
  • 'La joueuse de go" de Shan Sa
  • 'Le quatrième mur' 'Profession du père' de Sorj Chalandon
  • 'Les enfants de Minuit' de Salman Rushdie
  • 'Sombre dimanche' & "L'art de perdre" d'Alice Zeniter
  • 'Sous le soleil des Scorta' et 'Eldorado' de Laurent Gaudé
  • "1984" de George Orwell
  • "Au Zénith" de Dong Thuong Huong
  • "Candide" de Voltaire
  • "En attendant Godot" de Samuel Beckett
  • "Fanrenheit 451" de Bradbury
  • "L'écume des jours" de Boris Vian
  • "L'insoutenable légéreté de l'être", de Milan Kundera
  • "L'œuvre au noir" de Marguerite Yourcenar
  • "L'ombre du vent" de Carlos Ruis Zafon
  • "La métamorphose" de Kafka
  • "La vie devant soi" de Romain Gary
  • "Le Hussard sur le toit" et "Les âmes fortes" de Jean Giono
  • "Le parfum" de Patrick Suskind
  • "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde
  • "Le rouge et le noir" de Stendhal
  • "Les Cavaliers" de Joseph Kessel
  • "Les Déferlantes" de Claudie Gallay
  • "Les Raisins de la Colère" de John Steinbeck
  • "Malevil" de Robert Merle
  • "Mr Vertigo" de Paul Auster
  • "Sur la route" de Jack Kerouac
  • à suivre
  • L'univers de Haruki Murakami
  • Les contes d'Alessandra Barrico
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