Genre : des prémisses de la traite négrière par les 'Pieds de poule'
Histoire
Dix fils aînés et deux adultes ont disparu pendant un incendie qui a ravagé le village du clan Mulongo. Personne ne connaît l'origine de ce feu ni de ces disparitions ?
Les mères des fils volatilisés sont isolées dans une case, peur de voir leur désespoir contaminer la communauté...
Impressions
L'univers de Mulongo se limite à la brousse et quelques échanges commerciaux avec leurs voisins, les Bwele, un peuple plus puissant, plus nombreux.
Le jour noir de l'incendie et des disparitions va casser profondément les codes et la 'pureté' du clan pacifique Mulongo. Il les oblige à changer leur regard sur l'univers au delà du territoire des Bwele, à envisager des terres s'étendant jusqu'aux Isedu, le peuple côtier voire plus loin.
Ces événements vont aussi à l'encontre de leurs valeurs humaines, violent les rites de l'Afrique ancestrale. Le mal est là, apporté par ces énigmatiques Pieds de poule, eux-mêmes assistés par des Africains prompts à trahir leurs rites et valeurs.
"Eyabe se couvre la bouche des deux mains pour ne pas crier, ne pas hurler que le monde est devenu fou, que des forces obscures sont à l'oeuvre, que même un nouveau-né reconnaîtrait sans mal le visage de la sorcellerie, que l’on ne peut avoir besoin d'autant de vies humaines, si ce n'est pour les sacrifier à des puissances maléfiques."
Et finalement au delà d'un récit aux couleurs, odeurs, croyances très africaines, c'est un conte bouleversant qui met en avant les valeurs humaines de résistance à la violence, un hymne à la richesse de la mixité des cultures comme illustrée par le village des marais Bebayedi.
Ce clan saura montrer qu' "on ne peut dépouiller les êtres de ce qu'ils ont reçu, appris, vécu", résistant jusqu'au risque de disparaître...
"La nuit tombe d'un coup, comme un fruit trop mûr. Elle s'écrase sur le marais, la rivière, les cases sur pilotis. La nuit a une texture : celle de la pulpe du kasimangolo, dont on ne peut savourer toute la douceur sucrée qu'en suçant prudemment les piquants du noyau. La nuit est faite pour le repos, mais elle n'est pas si tranquille. Il faut rester sur ses gardes. La nuit a une odeur : elle sent la peau de ceux qui sont ensemble par la force des choses. Ceux qui ne se seraient jamais rencontrés, s'il n'avait pas fallu s'enfuir, courir sans savoir où pour rester en vie, trouver une vie. La nuit sent les souvenirs que le jour éloigne parce que l'on s'occupe l'esprit à assembler les parties d'une case sur pilotis, à chasser, à piler, à écailler, à soigner le nouveau venu, à caresser la joue de l'enfant qui ne parle pas, à lui chercher un nom pour le maintenir dans la famille des hommes. La nuit charrie les réminiscences du dernier jour de la vie d'avant, dans le monde d'antan, sur la terre natale."
La magie opère aussi avec grâce. J'ai par exemple beaucoup apprécié l'étrange enfant appelé Bana, qui guidera Ebeye dans sa quête
"Il a répondu : Bana, la femme a ri parce que ce mot, n langue lulongo, signifie les enfants. Elle a pensé qu'il confondait ce terme avec Muna, qui veut dire l'enfant.
[...]
L'enfant n'a rien pris depuis... L'homme l'interrompt : Mère, celui-ci est une multitude. Tu le sais bien"
Mystère !! ;)
Une très belle écriture, un roman de mémoire bouleversant, un mysticisme poétique qui emporte. Bravo !!
Prix Femina 2013
Biographie de Léonora Miano
Léonora Miano est née en 1973 à Douala, au Cameroun, où elle passe son enfance et son adolescence, avant de s'installer en France, en 1991. Elle est l'auteur de six romans, dont L'intérieur de la nuit (Plon, 2005), Contours du jour qui vient (Prix Goncourt des lycéens, 2006, Plon) et Les Aubes écarlates (2009), deux recueils de textes courts et un texte théâtral.
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