Genre : enquête à deux temps dans l'Espagne franquiste d'après-guerre
Histoire
À Madrid, en 1956, à la rédaction de La Capital, Emilio Sanz, un vétéran des faits divers, est aguerri aux pratiques de la presse dans cet état policier.
Débarque Léon Lenoir, le jeune reporter fougueux qui vient de débarquer de Paris, que toutes les apparences semblent opposer.
Impressions
BD épaisse (150 pages), il y a du texte, de l'action, de l'épaisseur dans le ce récit.
Difficile de qualifier cette BD d'un genre précis.
Elle présente un criminel en série qui tue en toute impunité depuis des années, des journalistes qui se comportent en détectives, des intrigues et des fausses pistes.
Mais aussi peinture sociale de l'Espagne marquée par les années de dictature sous Franco, une société divisée entre Phalangistes et les Républicains.
Les thèmes lourds sont abordés frontalement.
En particulier j'ai découvert l'horreur de l’eugénisme mis en place sous régime Franco, terrible élimination ou rééducation forcée des enfants volés aux parents républicains.
Des dizaines de milliers de « disparus vivants » qui hantent la mémoire lacunaire de l'Espagne. Par exemple, un bébé petit-fils d'un « rouge » fusillé en 1940 se négociait en effet 200 000 pesetas, à l'époque, lorsqu'une famille bien-pensante en mal d'enfant se présentait au bon médecin, à la bonne sœur.
Tout était fait pour garder le secret, grâce à la loi du 4 décembre 1941 qui légalisait le rapt de ces enfants déclarés « de filiation inconnue ». Ils le firent dans les prisons de femmes, comme Saturraran, en Espagne, et jusque dans les camps et centres d'accueil français d'où 11 à 12 000 gosses prirent le train pour Madrid, Barcelone, avec la complicité des autorités.
Pour les franquistes le socialisme était « une maladie mentale », il fallait donc enlever les enfants des Républicains pour les « rééduquer » dans les orphelinats et séminaires catholiques.
Plus de 30 000 enfants furent ainsi confiés à la « rééducation » des orphelinats de l'église catholique et de la phalange.
Et ce que des recherches sur le Net m'a appris est que le le combat engagé en octobre 2008 par le juge Garzon pour rendre justice à tous les disparus, dont les enfants volés, se heurte toujours à la loi d'amnistie de 1977, garantissant, de fait, l'impunité aux crimes franquistes contre l'humanité.
Pour reprendre les termes d'Amnesty International, l'Espagne représente aujourd'hui une « exception macabre », par rapport au caractère imprescriptible du crime contre l'humanité
Dans la BD sont cités les docteurs Vallejo Najera -qui mit au point une théorie eugénique n'ayant pas grand-chose à envier aux Nazis, s’étant livré à des expérimentations sur les prisonniers de la guerre d'Espagne, à dessein d’y déceler la présence d’allégués gènes communistes.- et López Ibor auteur de méthodes pour « guérir » la neurasthénie féminine ou l'inversion....
Ce sont les premières manifestations contre le régime franquistes qui sont également au cœur du récit. Et la censure très forte de la presse évidemment incarné par Sanz et Lenoir.
Le graphisme est très vivant, cadrages et cases s'enchaînent très vite.
Le trait est talentueux de même que le traitement des couleurs, le choix de l'aquarelle, l'attention quasi maniaque portée aux décors.
Ce que je reproche à cette BD est la trop grande multiplication d'intervenants et de sujets narratifs. Indéniablement la richesse des témoignages crédibilise le récit mais je reconnais avoir perdu le fil des différentes histoires croisées.
Cette histoire aurait mérité un rythme un peu moins soutenu, plus de temps de respiration.
Certes c'est le tome 1 avec déjà 150 pages.
Un roman graphique très riche, au graphisme talentueux, et témoignant avec précision historique de la période très sobre de l'après-guerre en Espagne. Petit bémol sur un sentiment de trop de récits et trop vite.
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